19
Sous-le-Trou s’étalait à vingt kilomètres sous leurs pieds, tache lumineuse couleur rubis. Même avec ses binocs réglées sur grossissement maximal, Svetlana distinguait à peine les silhouettes, les tracteurs et les dômes provisoires de leur petit poste avancé. Elle avait beau savoir qu’ils n’étaient pas plus en sécurité qu’elle, là-bas, elle aurait tout donné pour ne pas se trouver en ce moment du mauvais côté du Ciel de Fer.
Elle se demanda comment se sentait son partenaire. C’était lui, Schrope, qui allait partir en balade dans le vaisseau extraterrestre, pas elle. « Je veux être votre ambassadeur », lui avait-il dit un jour. S’il regrettait ses paroles, il n’en laissait rien paraître.
La voix de Parry bourdonna dans son casque :
— Parlez-nous, les enfants. Ça nous rend nerveux, ce silence.
— On est là, le rassura Svetlana.
— Pas de malaises ?
Elle lança un coup d’œil à Schrope, qui secoua la tête.
— Non, on va bien tous les deux. C’est comme en bas, ici.
Elle jeta un regard craintif à leur nouveau ciel, au loin, l’intérieur de cet immense tube où s’était réfugié Janus.
— Nous nous sentons un peu plus… exposés, voilà tout. C’est seulement maintenant que je me rends compte à quel point ça devenait oppressant, en bas.
— Ryan me dit que vos paramètres sont bons, à tous les deux. Mais si tu pouvais respirer un peu moins vite, ce serait super.
— Il va falloir que je m’habitue à l’adhéflex, je manque sérieusement de pratique.
— Tu es pardonnée. Pourrais-tu nous faire une petite faveur et nous prendre une belle vue panoramique ?
Elle détacha la caméra de son casque et offrit à Parry ce qu’il lui demandait, un balayage à cent quatre-vingts degrés. Elle ne s’attarda pas sur le vaisseau spicain, comme si cela pouvait le faire disparaître, telle une simple aberration psychotique à laquelle on ne ferait plus jamais la moindre allusion.
— Ça te va ?
— Nous perdons de temps en temps des paquets de données, mais à part ça, les images sont très bonnes.
— On aurait peut-être dû emporter cet amplificateur, finalement.
— Non. Mauvaise idée, d’emmener avec vous un bidule de ce genre. Ils peuvent mal réagir, s’ils ne comprennent pas que notre matériel est inoffensif.
Svetlana n’insista pas. Ils en avaient longuement discuté, et elle comprenait la logique de Parry : ce premier contact devait être aussi dépouillé que possible. Mais elle se serait sentie nettement plus à l’aise avec une station-relais sous la main pour garder le contact avec ses congénères.
Dès qu’il s’était posé, le vaisseau avait déployé ce qui ne pouvait être qu’une rampe d’embarquement. Les humains y avaient d’abord envoyé leurs robots, mais chaque fois qu’un automate ou un androïde s’en approchait, la rampe s’escamotait.
Les deux humains franchirent la limite atteinte par les machines et la rampe resta abaissée. Manifestement, le vaisseau faisait très bien la différence entre les organismes en combinaison et les robots.
— Craig, votre caméra déconne, dit Parry. Vous pourriez lui donner un petit coup pour essayer d’arranger ça ?
— Une seconde…
Svetlana regarda Schrope taper sur le côté de son casque. Un léger choc bien appliqué pouvait séparer les couches qui se collaient parfois dans le gel Belousov-Zhabotinsky, permettant ainsi aux ondes de concentration de se propager sans contrainte. Wang avait réussi de grandes choses, mais la technique BZ restait trop subtile pour ses creusets.
— C’est mieux ?
— On se débrouillera. Le son est bon, c’est toujours ça. Toujours aussi cool à l’idée d’y aller, Craig ?
— « Cool » n’est pas vraiment le mot que j’aurais choisi.
— Il n’est pas trop tard pour renoncer, lui glissa Svetlana.
Elle croisa le regard sceptique de Schrope derrière sa visière.
— L’un d’entre nous doit le faire, alors autant que ce soit moi.
— Vous ne nous devez rien…
— C’est vrai. C’est pour moi que je le fais, lui dit-il si bas qu’elle dut tendre l’oreille.
Elle ne s’appesantit pas.
— On va y aller, lança-t-elle à Parry. Le vaisseau est à un kilomètre, à vue de nez. On devrait y arriver dans moins de vingt minutes.
— Allez-y doucement, leur conseilla Parry. Tous les vingt pas, arrêtez-vous et braquez vos caméras vers le vaisseau. Nous ferons le point à chaque fois, avant de continuer. Si on voit un truc qui ne nous plaît pas, on vous fait dégager. C’est bien compris ?
— Oui, chef.
— On ne discute pas, et on ne joue pas les héros, insista Parry d’un ton ferme.
— Faudrait déjà en avoir envie, ironisa Svetlana.
Ils se mirent en route. Après vingt pas sur leurs semelles adhéflex, ils firent une première halte ; Parry et son équipe eurent ainsi le temps d’observer convenablement le vaisseau accroupi.
On aurait dit un lustre miraculeusement intact après être tombé d’un plafond. Il reposait sur une douzaine de pieds incurvés qui se redressaient ensuite pour se terminer par des extrémités fuselées presque horizontales. Quant à la rampe, elle reposait de tout son long à plat sur le sol, son extrémité pointée vers le trou. Deux « murs » la bordaient de chaque côté. Décidément, aucun doute n’était possible, se dit Svetlana. On les invitait à entrer.
La rampe menait à une sorte de bulbe composé de multiples couches concentriques d’une matière vitreuse. De longues chaînes de symboles spicains fluorescents flottaient sur la couche externe et, à l’intérieur, on distinguait vaguement des structures plus sombres, comme les organes d’un poisson translucide. Aucune des branches beaucoup plus fines qui émergeaient par dizaines de la structure centrale ne touchait le sol. Certaines d’entre elles étaient prolongées par des sortes de bourgeons – capteurs, moteurs, modules d’habitation ou armes. Une douce lumière émanait des courbes et des joints du vaisseau, en partie réfractée depuis son cœur, mais aussi diffusée par le vaisseau lui-même.
Cet engin était gigantesque. À lui tout seul, le bulbe central aurait pu engloutir Crabtree de bas en haut, Habitat Haut compris.
Ils s’arrêtèrent, avancèrent, s’arrêtèrent à nouveau.
— Aucun changement, mais ils n’ont pas non plus relevé la rampe, leur annonça Parry.
— Tu as des infos sur les symboles ? lui demanda Svetlana.
— Non, pas encore. Jake et Christine bossent toujours dessus. Je te préviendrai dès qu’ils tiendront quelque chose.
— Mais je ne dois pas trop y compter…
— T’as tout compris.
— On devrait peut-être faire venir les Symbolistes, pour voir ce qu’ils auraient à dire, eux, lâcha Svetlana avec un rire forcé.
— La situation n’est quand même pas désespérée à ce point, ricana Parry.
Ils avancèrent, s’arrêtèrent, avancèrent… Après dix ou douze minutes, ils avaient parcouru la moitié du chemin, estima Svetlana. Elle jeta un coup d’œil derrière elle. Le trou dans le Ciel de Fer avait rétréci, et il devenait difficile à distinguer sur cette surface gris terne comme de l’étain. Pourquoi les Spicains avaient-ils été contraints de découper ce trou ? Pourquoi ne pas avoir donné l’ordre au Ciel de Fer de s’ouvrir comme une porte ? Tant de questions, si peu de réponses…
Quelques arrêts plus tard, le vaisseau les dominait de toute sa taille gigantesque, avec sa structure translucide de plus en plus intrigante.
— Hé oh, les goinfres, allez-y mollo avec l’oxygène ! leur lança Parry.
Svetlana se rendit compte qu’elle haletait à nouveau.
— Et la liaison radio, ça va ? demanda-t-elle, histoire de dire quelque chose.
— Ça part en couille mais on fera avec. Comment tu te sens ?
— J’ai un peu envie de dégueuler, mais bon… je tiens le coup, plus ou moins.
— Et Craig, ça va ?
Schrope s’invita dans la conversation :
— Je pense sérieusement à me dégonfler, mais ça va, je tiens le coup, moi aussi.
— Tant mieux. Vous devez avoir une sacrée vue, là-haut… Je veux dire, avec juste un centimètre de verre entre eux et vous…
— Vous avez raison…
Schrope avait changé de ton et Svetlana en eut la chair de poule.
— Nous sommes des privilégiés, ne l’oublions pas. Ça y est, nous y voilà. Nous allons enfin vivre ce que nous attendons depuis des années. Je ne vous parle pas de ces treize ans que nous avons passés cloués sur Janus, mais de ces milliers d’années, de ces dizaines de milliers d’années, même, qui se sont écoulées depuis le jour où l’un de nous a levé les yeux vers le ciel, vers ces ténèbres, et s’est demandé ce qu’il y avait là-haut. Il ne s’est pas demandé s’il y avait quelque chose, notez bien, mais ce que c’était. Nous savons depuis toujours qu’ils sont là, quelque part, et nous avons toujours su que nous allions les rencontrer un jour. Voilà, ça y est, le moment est arrivé. C’est ici et maintenant. Et nous avons été choisis, parmi les milliards de gens qui ont vécu depuis la naissance de l’humanité.
— Amen, mon pote, conclut posément Parry, mais ne perdons pas de vue que ce n’est qu’un boulot parmi d’autres. Ce n’est ni plus ni moins dangereux que d’installer une catapulte dans une comète, ou de démarrer un tokamak à froid.
Dix minutes plus tard, ils n’étaient plus qu’à vingt mètres du pied de la rampe. Ils filmèrent les alentours et attendirent les instructions.
— Alors ? On y va ? demanda Svetlana.
Il y eut un grésillement, puis Parry répondit :
— Si Craig est toujours partant, nous n’avons aucune raison de ne pas continuer.
— Je suis prêt, annonça l’intéressé.
— Ash me dit que la liaison radio entre vos combinaisons est nickel. À vous de jouer, mon pote.
— D’accord, j’y vais. Je suggère que Svetlana m’attende à mi-chemin du trou. Ça devrait être OK, pour la liaison radio.
— Pas question. Je reste ici, au pied de la rampe, protesta-t-elle.
— J’apprécie le geste, mais au moindre problème, vous dégagez, d’accord ? Souvenez-vous : pas d’héroïsme.
Elle hocha la tête.
— Vous comptez rester combien de temps à l’intérieur ? lui demanda-t-elle.
— Je mets mon chrono à zéro et je règle la sonnerie sur trente minutes. Dès que ça sonne, je finis mon verre et je demande mon manteau.
Svetlana programma son propre chronomètre pour une durée identique.
— Ça me va. Et si vous n’êtes pas sorti dans une demi-heure…
— Si je ne suis pas sorti dans une demi-heure, vous m’oubliez. Vous croyez vraiment que ça servirait à quelque chose de m’envoyer la cavalerie ?
— Vous avez raison, reconnut-elle d’une voix moins assurée. Bonne chance, Craig. On ne s’est pas toujours très bien entendus, vous et moi…
— Oubliez ça. Beaucoup d’eau a coulé sous des tas de ponts, depuis.
Schrope tendit la main à sa partenaire.
— Nous poussons de la glace, c’est ça ?
— Nous poussons de la glace, dit Svetlana en serrant très fort la main de Craig. Jusqu’à la maison.
Schrope lui tourna le dos et franchit les derniers mètres le séparant du pied de la rampe. La caméra de Svetlana filmait l’homme qui s’éloignait lourdement. Au bas de la rampe, il s’arrêta, se retourna vers elle et posa le pied sur la surface quasi horizontale.
— Allez-y, Craig, parlez, lui suggéra Svetlana.
— La traction est bonne. L’adhérence me paraît à peu près normale. Je n’ai aucun mal à poser ou à lever les pieds. Je vais en poser un sur la rampe.
— Prenez votre temps.
— Ça y est. Je suis toujours debout. Je suis sur le vaisseau.
— Décrivez-nous sur quoi vous marchez, lui dit Parry.
— On dirait du verre teinté, une sorte de gris rougeâtre… J’aperçois le sol au travers. Ça m’a l’air solide, ça ne cède pas, ça ne résiste pas, ça ne vibre pas. Vous recevez ces images ?
Il avait détaché sa caméra pour filmer le sol.
— La mise au point n’est pas géniale.
Schrope tapa la caméra contre son genou.
— C’est mieux, maintenant ?
— Ouais, ça va. Ne bougez pas… Et maintenant, déplacez la caméra à gauche, et ensuite à droite…
Svetlana entendit Parry s’adresser à l’un des autres observateurs.
— D’accord, reprit-il. Vous pouvez remettre votre caméra en place.
Schrope la fixa de nouveau sur son casque.
— Je suis prêt à continuer, je crois.
— Quand vous voulez…
Il fit un deuxième pas sur la rampe.
— Ça va toujours, leur annonça Schrope. Je vais continuer. Ce serait bête que la sonnerie se déclenche avant que je sois entré.
— Prenez votre temps, lui conseilla Parry.
Schrope avança encore. Cinq pas, dix, puis vingt. La rampe commençait à s’incurver vers le haut, à s’éloigner du sol.
— La traction est toujours bonne.
— Allez lentement jusqu’en haut. Sans vous presser.
Schrope fit encore douze pas, puis s’arrêta. Il avait le souffle court, il respirait difficilement, mais c’était tout à fait compréhensible dans ces circonstances.
— J’ai du mal à estimer mon angle par rapport au sol. J’ai l’impression que l’horizon s’est incliné. Peut-être un effet de champ, comme à Eddytown.
— Compris, dit Svetlana. On dirait que vous penchez vers l’arrière. Je vois davantage le sommet de votre casque que je ne le devrais.
— Je ne sens rien.
— Tout à fait normal. Les Spicains contrôlent parfaitement la gravité à l’échelon local, nous le savons. Ce serait bizarre qu’ils ne s’en servent pas pour faciliter l’accès à leur vaisseau.
— Je continue.
Elle le regarda terminer sa montée jusqu’en haut de la rampe, et bientôt sa combinaison ne fut plus qu’une tache orange se détachant sur fond de verre fumé convoluté. Il était maintenant incliné d’une vingtaine de degrés par rapport à la verticale de Svetlana. Elle le vit faire un minuscule geste du bras quand il libéra à nouveau sa caméra pour la braquer autour de lui et filmer le vaisseau et ses alentours. Elle reçut ces images dans une des fenêtres de son ATH. La transmission était plutôt bonne, mais de temps à autre la perte d’un paquet transformait l’image en blocs d’hexels statiques.
— Montrez-nous l’entrée, lui demanda Parry.
Schrope balaya de sa caméra la grande ouverture qui succédait à la rampe.
— Je ne sais pas ce que vous allez pouvoir déduire de ces images, donc je vais essayer de vous les commenter. La rampe continue dans le vaisseau sur environ dix mètres, à l’horizontale, dans une sorte de couloir… oui, appelons ça un couloir. Il y a un sol, deux murs et un plafond, tous légèrement courbes. Aucune source d’éclairage isolée, mais une lumière diffuse qui émane de partout. Je n’arrive pas à distinguer grand-chose dans les murs. Ils sont translucides, eux aussi, et on devine du matériel derrière eux, mais même en collant le nez dessus je ne pourrais pas faire mieux.
— Et au bout de la rampe, qu’est-ce qu’il y a ? lui demanda Parry.
— Je n’en sais rien. Ça a l’air de descendre d’un coup dans le vaisseau. Je vais aller y jeter un coup d’œil…
— Allez lentement au bout de ce couloir, en continuant à filmer.
L’image tressautait chaque fois que Craig faisait un pas. Le verre qui l’entourait renvoyait des reflets ternes, flous, comme ceux d’un miroir dépoli. Estimant qu’il y avait assez de lumière, il éteignit la lampe de son casque.
— Vous me recevez toujours ?
— Oui, on reçoit tout, le rassura Svetlana. L’image commence à se dégrader, mais elle devrait tenir encore un peu. Le vaisseau bloque peut-être le signal.
— Je suis au bout du couloir. Je regarde en bas et… ah, d’accord.
L’image s’effaça puis se reconstitua, hexel après hexel. Schrope filmait la partie en pente du couloir. Sans sa présence, ils n’auraient pas su où se trouvaient le haut et le bas. Le couloir s’incurvait en descendant, puis tournait brusquement à gauche.
— On vous reçoit toujours, Craig…
— Je m’engage dans la descente. Un pied à la fois… pour tester la traction.
Il s’arrêta, haletant. Svetlana avait l’impression qu’il lui soufflait dans les oreilles.
— Ça m’a l’air sans danger. Je pose mon autre pied et… je suis de nouveau bien droit.
Petit rire étouffé.
— Bon Dieu, c’est vraiment bizarre…
— Vous vous débrouillez comme un chef, lui dit Svetlana d’un ton apaisant. On est juste derrière vous, Craig.
— Je continue. Jusqu’ici, aucun problème.
— Ça fait dix minutes, Craig, le prévint Svetlana. Il vous en reste vingt.
— Bien reçu. Ce sera plus que suffisant, je crois.
— Continuez à nous décrire ce que vous voyez, lui recommanda Parry. On reçoit encore vos images, mais la qualité diminue sérieusement. L’audio devrait tenir encore un moment.
— Je suis descendu de cinq ou six mètres. Le sol redevient horizontal. Devant moi, je vois un tournant à main gauche…
— Vous distinguez des changements dans la texture ou l’éclairage ? intervint Svetlana.
— Non, rien d’évident. Un peu plus de lumière, je dirais… Mais c’est peut-être mon imagination qui me joue des tours.
Une autre voix s’immisça dans la conversation :
— Craig, ici Ash Murray.
— Je vous écoute, Ash.
— Je vois une modif dans votre trimix.
— Je dois m’en inquiéter ?
— Non. C’est notre problème récurrent, ne vous faites pas de souci. Augmentez le taux d’oxygène de deux pour cent, s’il vous plaît.
Sur son ATH, Svetlana vit les gros doigts de Craig entrer ce nouveau taux sur la manche de sa combinaison. Lui qui n’avait plus porté de combinaison depuis des années, il le faisait de bonne grâce, force était de le reconnaître.
— Bien reçu. Je me sens déjà mieux, Ash.
— Super, mais gardez un œil sur ces niveaux et rectifiez le mélange en conséquence. Normalement, il y a un graphique pour ça, en bas à droite de votre ATH. Ne laissez pas la ligne rouge passer sous le repère blanc.
— Dès que nous serons de retour sur Terre, la tête de nœud qui a conçu ces combinaisons va m’entendre, ricana Svetlana.
— La tête de nœud en question est morte depuis environ deux siècles, lui fit remarquer Ash, mais sinon je suis bien d’accord.
— Je vais bientôt tourner le coin, dit Schrope. Je fais passer la caméra d’abord ?
— Craig ?
— Oui, je suis toujours là.
Le son de la transmission radio venait de se dégrader légèrement, et la vidéo ne transmettait plus que des images statiques qui s’actualisaient au bout de deux ou trois secondes.
— Je me déplace le long d’une autre section droite. La traction est toujours OK. Pas facile à décrire, ce que je vois, mais…
— Continuez, le pressa Svetlana.
— Le couloir s’élargit devant moi. Il y a une sorte d’ouverture sphérique. Qui donne dans ce que je vais appeler une salle.
La liaison vidéo s’améliora pendant quelques instants, ce qui permit à Svetlana d’entrevoir le bout du couloir et l’espace plus vaste qui lui succédait, baigné de la même lumière spectrale venue de nulle part. Puis l’image redevint statique.
— Surveillez vos niveaux de gaz, répéta Murray.
— Compris. Tout va bien, mais j’aurais dû faire pipi avant de quitter Sous-le-Trou.
— Ash ne vous a pas équipé ? s’étonna Svetlana.
— J’ai refusé. Je ne compte pas passer le reste de la semaine dans ce machin.
— La vidéo commence à merder sérieusement, leur annonça Parry. Continuez vos commentaires, mon pote.
— Je suis devant l’ouverture. Le couloir débouche dans une pièce sphérique. Il n’y a pas de sol, c’est une surface courbe continue…
Il filma toute la salle sans y entrer.
— Je n’aperçois pas d’autre issue… Mais c’est difficile, avec toutes ces surfaces vitrées…
— Vous voulez dire que c’est un cul-de-sac ? s’exclama Parry.
— Oui, j’en ai l’impression. Je vais aller jeter un coup d’œil à l’intérieur, si j’ai encore prise…
Il s’assit au bord du couloir en grommelant et passa ses jambes dans la pièce sphérique.
— La traction des gants m’a l’air OK. Je devrais pouvoir sortir de là en me hissant, s’il le faut.
— Nous ne recevons plus que des images fixes, ici, alors de temps à autre, gardez la caméra immobile pendant quelques secondes, lui enjoignit calmement Parry.
— Je descends. Une seconde… OK. Je suis à l’intérieur, et je suis debout. Le sol n’a pas changé. Pas de problème d’adhérence. Je vous fais un panoramique de la salle.
Schrope pointa la caméra dans six directions différentes en la tenant aussi fermement que possible pendant quelques secondes a chaque fois, puis il la tourna vers son visage. Il se fendit d’un sourire crispé.
— Sélectionnez celle-là pour la une de Newsweek !
— Craig, faites-moi plaisir, dirigez-la de nouveau vers l’entrée.
— Comme ça ?
D’abord, la vidéo ne transmit que du gris, puis l’image floue se stabilisa.
— Hé, attendez… souffla Schrope.
Et ce qu’il voyait, Svetlana le vit également. Le trou dans le mur avait indéniablement rétréci… Il rétrécissait même à vue d’œil, en fait.
— Nous avons un problème, on dirait, constata Parry avec un sang-froid un peu trop évident pour convaincre qui que ce soit. Craig, gardez votre calme et tirez-vous de là. Vous avez encore le temps.
Sans prononcer un mot, Schrope replaça la caméra sur son casque et repartit aussitôt vers l’ouverture. La caméra filma ses mains gantées d’adhéflex qui cherchaient une prise sur le mur.
— C’est trop tard, murmura tout bas Svetlana. Le trou est déjà trop étroit pour qu’il s’y faufile.
Schrope le comprit très vite, lui aussi. Il recula, les mains tremblantes, et la caméra s’attarda sur l’accès qui se refermait comme un sphincter de verre. Le trou faisait déjà moins de cinquante centimètres de diamètre, et il continuait à s’obturer.
— C’est trop étroit, constata Schrope. Je ne vais jamais pouvoir passer de l’autre côté…
— Ne bougez plus. Ce n’est pas forcément un problème, Craig, lui lança Svetlana d’un ton autoritaire.
Sauf qu’à ce stade elle s’en moquait, de paraître autoritaire.
— Pour moi, c’en est un, lâcha Schrope.
La transmission vidéo se dégradait de plus en plus. À présent, l’image était envahie par les estimations logicielles basées sur les transmissions précédentes.
— Vous êtes sûrement dans un sas. On aurait dû y penser plus tôt. C’est bon signe… Ça veut dire qu’ils veulent nous rencontrer.
— Je ne peux plus sortir, en tout cas, constata Schrope.
Dépouillée de ses harmoniques, sa voix était devenue métallique. La vidéo restait bloquée sur la dernière image transmise. Le débit binaire peinait à acheminer les sons.
— Craig, si vous m’entendez, restez calme, fit Svetlana.
— Je perds les données de sa combinaison, leur signala Ash Murray.
— Plus de contact visuel chez nous, annonça Parry.
— Craig, parlez-moi ! Dites-moi ce qui se passe ! dit Svetlana d’un ton insistant.
— Je crois que la salle se pressurise, leur dit-il d’une voix hachée, le souffle court. La pression neutralise le gonflement de ma combinaison. Et ce gaz est… incolore. Je me fais sans doute des idées, mais…
— Allez-y, Craig, parlez-moi, le pressa Svetlana.
— La combinaison s’alourdit. Elle m’écrase. Je ne peux plus rester debout…
Svetlana entendit un autre grognement, et une respiration sifflante.
— Je suis à genoux. Elle devient de plus en plus lourde…
Il s’interrompit et inspira à fond, très laborieusement.
— J’ai beaucoup de mal à respirer…
— Craig, le coupa Parry, ce doit aussi être un sas pour la gravité.
— J’avais deviné…
— Vous devez vous coucher le plus à plat possible, pour faciliter l’afflux du sang dans votre cerveau…
— J’essaye. Peux pas… Ce putain de sac à dos me bloque…
— Oh non… gémit Svetlana.
Ils en avaient tellement parlé… Craig devait-il oui ou non accomplir sa mission dans cette combinaison légère ? Ils s’étaient finalement décidés pour elle parce qu’elle était plus proche de la forme humaine, donc moins menaçante, mais un scaphandre lui aurait permis de s’allonger sans problème et lui aurait assuré une pression constante, quelles que soient les conditions extérieures.
Mauvaise décision. Très très très mauvaise décision.
— Elle s’alourdit encore. La pression écrase ma combinaison tout du long. Je vois des tas de voyants rouges qui s’allument…
— Essayez… Accrochez-vous, là-dedans, ânonna Parry. Tôt ou tard…
Il avait déjà perdu tout espoir, comprit Svetlana au ton de sa voix. C’était déjà trop lourd pour l’homme enfermé dans sa combinaison. Si la gravité et la pression augmentaient encore, Schrope glisserait bientôt dans l’inconscience, dès que le sang n’irriguerait plus son cerveau. Et très vite son cœur cesserait de battre…
— Attendez… Il se passe quelque chose ! Le verre s’éclaire… Je vois au travers ! Je vois de l’autre côté…
Il parvint à glousser malgré sa respiration atrocement douloureuse.
— Ils arrivent… Ils sont ici… Oh mon Dieu ! Là, dehors… Ils approchent… Il me faut la… caméra… La caméra… répéta-t-il fiévreusement.
— Craig, oubliez cette foutue caméra ! aboya Svetlana.
— Faut que vous voyiez ça… Vous devez voir ça… Vous devez voir ça…
— Il perd la boule, murmura Ash Murray.
— Tenez le coup, Craig, dit Parry.
— Je les vois ! Ils sont… amusants… gros… plus gros que je ne m’y attendais… Ils ressemblent à des…
La liaison radio s’interrompit un court instant, remplacée par un bruit de fond, parodie grinçante et approximative de voix humaine.
— … des montagnes.
Puis ce fut le silence.
— On a merdé avec cette combinaison… On a merdé avec cette combinaison… répétait sans arrêt Svetlana.
Murray l’aida à s’extirper de la sienne.
— Tu n’as pas à te sentir coupable, lui dit-il. D’après ce que nous savons, on approchait des cent atmosphères là-dedans.
— C’est une supposition, Ash.
— La gravité n’a pas arrêté d’empirer. Ton sentiment de culpabilité est absurde, elle aurait eu sa peau de toute façon, scaphandre ou pas.
— Nous n’aurions pas dû le laisser entrer dans la salle avant d’en avoir sécurisé l’accès…
Parry lui attrapa brutalement le coude.
— La sécuriser avec quoi, Svieta ? se fâcha-t-il, frustré de ne pas pouvoir la réconforter. Bon Dieu, tu crois vraiment que ça aurait changé quoi que ce soit, quand cette porte aurait décidé de se refermer ?
— Elle ne se serait peut-être pas refermée complètement. Elle aurait peut-être détecté l’obstruction et…
— Ça fait trop de « peut-être ».
Il la prit par le menton et la força doucement à le regarder droit dans les yeux.
— Craig savait que ce ne serait pas facile, reprit-il. Il connaissait les risques, mais il y est allé parce qu’il savait que ce serait peut-être une façon de se racheter. Et il a eu ce qu’il voulait. Et il a eu ce que nous voulions aussi : des infos sur l’intérieur de cette chose, que nous n’aurions jamais eues sans lui. Nous lui devons des remerciements. Il est sorti de sa catatonie et il nous a rendu un énorme service.
— Il les a vus…
Assis à la table de réunion de Sous-le-Trou, un berlingot d’eau devant lui, Ryan Axford hocha la tête d’un air désolé.
— Je ne crois pas qu’il ait vu grand-chose, Svieta.
— Comment ça ?
— Il a eu des problèmes avec le trimix, nous le savons. Avec le stress respiratoire et circulatoire qu’il subissait déjà…
Il fit tourner le berlingot entre ses doigts de chirurgien.
— Il a eu des hallucinations, c’est normal, et…
— Ce n’est pas vrai, le coupa sèchement Svetlana. Il a vu quelque chose. Il a été très clair là-dessus. Derrière le verre, il l’a dit. Quelque chose qui se rapprochait.
— Je voudrais vraiment pouvoir y croire, Svieta, mais son cerveau n’était plus irrigué, et c’est ce qui a provoqué ces hallucinations.
— Il a vu des montagnes, Ryan ! Ça n’a rien à voir avec l’apparition de Jésus au bout du tunnel, bon sang !
Axford la dévisagea avec placidité.
— Et ça n’a rien à voir avec les extraterrestres.
— Craig a vu quelque chose. Il a vu quelque chose et nous l’a dit. Il les a vus. Et il n’a pas eu peur. Il semblait plutôt… fasciné.
— Ou intoxiqué, la contra Axford. Je suis désolé, Svieta. Je ne cherche pas à minimiser ce qu’il a fait pour nous. C’était extrêmement courageux de sa part d’aller voir là-dedans. Mais à moins de récupérer sa combinaison, nous ne saurons jamais ce qu’il a vu en réalité.
Soudain vidée, incapable de supporter plus longtemps la faible gravité de Sous-le-Trou, Svetlana se laissa tomber sur la chaise en face d’Axford.
— Il a voulu braquer sa caméra sur eux…
— Les hallucinations n’excluent pas les réactions rationnelles, insista Axford.
Parry s’assit à côté de sa femme, lui prit la main et lui massa les doigts. Ils étaient toujours raides, après les EVA.
— Ryan marque un point, lui dit-il. Nous avons entendu tous les deux le petit sermon de Craig avant qu’il ne commence à monter la rampe. Il était déjà fragile avant que ça tourne mal.
— Il a vu quelque chose, répéta-t-elle sans conviction, ces mots sonnant désormais comme une litanie mécanique.
Denise Nadis poussa vers elle une boisson et une collation, mais Svetlana secoua la tête. Elle avait un sale goût dans la bouche et elle n’avait ni faim ni soif.
Parry finit par briser un silence qui devenait inconfortable :
— Réfléchissons. Comment réagir ? Et si j’y allais en scaphandre, en le bourrant de systèmes de com…
— La gravité finirait quand même par te tuer, lui fit remarquer Murray.
Les yeux plissés, il examinait le casque de Svetlana avec une concentration de joaillier.
— Et si nous remplacions l’air par un mélange plus riche en oxygène…
Svetlana tapa sur la table avec son berlingot toujours fermé.
— Arrêtez de traiter ça comme un vulgaire problème technique ! Un homme vient de mourir, bon sang ! Personne d’autre n’y retournera !
— On ne va quand même pas l’abandonner là-bas, protesta Parry, incrédule.
— Si, c’est exactement ce que nous allons faire ! Je me fous royalement de votre code de conduite machiste à la con !
Elle ferma les yeux et ajouta, d’un ton plus calme :
— Pas question de risquer d’autres vies juste pour récupérer un cadavre.
— Il nous faut cette combinaison, Svieta, s’obstina Parry. Sa caméra a tout enregistré ! S’il a vu quelque chose, comme tu sembles le croire, elle a l’image dans sa mémoire. On la ramène et on regarde cette vidéo !
— Nous n’avons aucune raison de penser que sa combinaison est toujours dans cette salle. Ce vaisseau est gigantesque, et Craig n’en a vu qu’un tout petit bout. Ils ont pu l’emporter n’importe où.
Nadis prit à son tour la parole :
— Mais ne rien faire… tout de même… Ils ont tué l’un des nôtres, Svieta !
— Oui, parce qu’on a merdé. Et eux aussi, sans doute. Ils n’ont peut-être pas compris à quel point nous sommes fragiles.
— Ce qui ne veut pas dire que nous devons les laisser s’en sortir comme ça.
— Tu proposes quoi, alors ? On leur balance une bombe à fragmentation pour leur faire comprendre qu’on n’est pas contents, c’est ça ?
— Nous devons faire quelque chose. On ne peut pas rester ici comme si rien ne s’était passé…
— Ça fait treize ans qu’on attend ça ! Qu’est-ce que ça peut te faire, quelques jours de plus ou de moins ? insista Svetlana en combattant la fureur qui montait en elle.
— Ça s’agite, à Crabtree. Les gens veulent une riposte.
— Je vais la leur donner, leur putain de riposte ! Ça vous dirait, la loi martiale ? grimaça-t-elle, blême de colère contre elle-même.
Trop tard, c’était sorti. Elle avait bien prononcé ces mots.
— Parfois, tu me fais vraiment penser à Bella, lâcha Nadis en lui tournant le dos.
Avant de regagner la surface de Janus, Svetlana avait fixé au bord du trou, avec de l’adhéflex, une caméra braquée vers le vaisseau extraterrestre. Jusqu’à présent, ils avaient tout fait pour ne pas envahir l’espace des visiteurs avec ce que ces derniers auraient pu considérer comme une technologie indiscrète ou menaçante. Mais Schrope était mort, et ce genre de considération ne comptait plus autant.
Pendant plusieurs heures, il ne se passa rien. Puis le logiciel détecta quelques changements manifestes et les signala à Svetlana par l’intermédiaire de son flexi. Elle élargit la fenêtre de la caméra et tous se rassemblèrent autour d’elle pour observer la suite. Fixes jusqu’alors, les symboles du vaisseau se modifiaient sans arrêt par cycles.
— C’est la première fois que ça arrive, précisa Svetlana.
Pour l’instant, les Ofria-Gomberg n’avaient décelé aucune corrélation entre ces symboles et ceux qu’ils avaient étudiés sur Janus. En revanche, ils avaient gardé un œil sur ceux du vaisseau et confirmé qu’ils n’avaient pas bougé depuis son arrivée.
Mais cela n’était plus le cas.
— Ça s’agite, là-dedans, fit remarquer Denise. Ce qui vient de se passer les perturbe. On dirait que les Spicains ont compris qu’ils avaient fait une erreur et tiennent à nous faire savoir combien cela les désole.
— Ou alors, ils sont furax, contra Parry. Ils en ont plein le dos de nous parce qu’on leur a envoyé Craig en éclaireur.
— En tout cas, ils réagissent, c’est déjà pas mal, dit Svetlana.
— Tu parles d’un progrès… ironisa Parry.
— Je suis prête à me raccrocher à tout ce qui se présente. Au moins, maintenant, nous savons qu’ils ont remarqué l’accident. Au moins, nous savons qu’il a provoqué une réaction de leur part.
— Si on pouvait éviter d’employer le mot « provoquer »…
Tout le monde se tut. Hypnotisés par la logorrhée extraterrestre, se prenant à rêver qu’elle exprimait des remords plutôt que de la rage, ils s’absorbèrent dans la contemplation des images.
Parry s’appuya au chambranle.
— Comment tu te sens, bébé ?
— Pas aussi mal que j’en ai l’air. Tu as parlé à Emily ?
Trop fatiguée, trop épuisée nerveusement, Svetlana n’avait pas appelé sa fille avant l’expédition chez les extraterrestres, et toujours pas depuis. Elle avait peur qu’Emily ne se doute de quelque chose.
— Elle va bien, la rassura Parry.
— Personne ne lui a raconté ce qui se passe ici, j’espère ?
— Il y a eu quelques fuites, je crois, mais pas assez pour l’inquiéter. Ce n’est qu’une de ces histoires d’adultes qui lui passent au-dessus de la tête. C’est super d’être un gosse, hein ? Nous, on fait foirer un premier contact historique et elle, elle ne pense qu’à la poupée que Wang lui a promise.
— Nous avons tous été des gosses, Parry. Qu’est-ce qui nous est arrivé, bon sang ?
— Tu devrais dormir encore un peu, lui dit-il, son propre visage bouffi par le stress et la fatigue. On peut très bien se passer un peu de toi, pour l’instant.
— Je te remercie. Mon ego vient d’en prendre un coup.
Bien réveillée, à présent, elle ôta un cil qu’elle avait dans l’œil.
— Désolée, Parry. Je sais que tu fais tout ce que tu peux pour m’aider. Il s’est passé quelque chose, en mon absence ?
— Rien qui vaille la peine d’en parler. Rien à signaler du côté du vaisseau. Je te prépare un petit déjeuner ? Tu préfères dormir encore un peu ?
— Tu es sûr, Parry ? Rien qui vaille la peine d’en parler, vraiment ?
Après tant d’années de vie commune, Svetlana était habituée aux techniques de diversion de son mari.
— Bon, d’accord. Ça ne va pas te plaire…
— Ça ne me plaît jamais. Qu’est-ce qui se passe ?
— On a eu des nouvelles de Bella. Quelqu’un l’a mise au parfum.
— Elle n’aurait jamais dû l’apprendre, grommela Svetlana, extrêmement contrariée.
— Tout Crabtree est au courant. Bella en aurait eu vent, tôt ou tard.
— Qu’est-ce qu’elle veut ? Nous mettre le nez dans la pagaille que nous avons créée ?
— Je n’ai pas eu cette impression.
— C’est tout toi, ça. Toujours le premier à la défendre, lui lança-t-elle d’un ton cinglant, avec une rancune que Parry ne pensait pas mériter.
— OK, j’ai compris. Pas de petit déjeuner, c’est ça ?
Svetlana s’extirpa de son lit. Elle ne s’était pas déshabillée avant de se coucher et ses vêtements étaient fripés et défraîchis comme si elle les avait portés pendant une semaine.
— Lâche-moi, Parry. Je fais ce que je peux. Et tu la défends toujours, ne dis pas le contraire.
— Peut-être parce qu’elle n’a pas toujours tort, lui dit-il calmement, sans chercher à la provoquer.
Tout en mettant un peu d’ordre dans ses cheveux ébouriffés par ces quelques heures de sommeil, Svetlana lui jeta un regard assassin.
— Bella sait ce qui est arrivé à Craig, reprit-il comme si de rien n’était. Elle voudrait te parler avant que tu décides quoi que ce soit.
— Je me passe très bien de ses conseils !
— Elle affirme que c’est très important, qu’elle doit absolument te dire quelque chose.
— Ben voyons !
Svetlana tira un tee-shirt propre de son sac de voyage, un vieux, pas un de ceux du creuset. Celui-là était rouge, avec une sirène portant un masque de nageur et la légende Pépée de plongée en lettres argentées décolorées. Les petits poissons autrefois animés qui l’entouraient étaient maintenant réduits à l’immobilité.
— Elle dit aussi que ça a à voir avec Jim Chisholm.
Svetlana, qui était en train d’enfiler son tee-shirt, se figea brutalement.
— Hein ? Répète ?